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La Bretagne viking

Cavalier viking et son armement reconstitution à partir des armes de Péran
Cavalier viking et son armement reconstitution à partir des armes de Péran - Avec l’autorisation de Mme Paula Giauffret.

 

De Nominoë à Alain le Grand, un royaume de Bretagne émerge à la fin du IXe siècle. Celui-ci disparaît toutefois en 913 sous les coups des Vikings. Jusqu’en 936-937, la Bretagne n’existe plus comme réalité politique. Ses élites l’ont quittée. Des principautés scandinaves s’installent.

 

 

Le 24 juin 843, jour de la Saint-Jean-Baptiste, une flotte de Vikings

norvégiens remonte la Loire et s’empare par surprise de Nantes. La cité

est pillée de fond en comble, l’évêque tué en sa cathédrale, les

habitants massacrés ou capturés pour être vendus comme esclaves. C’est

le début d’un siècle entier de confrontations entre les Bretons et les

Scandinaves, qui laisseront la péninsule exsangue. Les rois bretons

tiennent les Vikings à l’écart malgré des affrontements fréquents. En

853, les Vikings s’installent néanmoins sur l’île de Bièce, juste en

face de Nantes, qu’ils ne quitteront quasiment plus pendant trois quarts

de siècle. Ils organisent sur l’îlot ligérien un camp fortifié doublé

d’un marché permanent où ils écoulent le produit de leurs pillages. Dans

les années 880, profitant de la guerre civile qui divise les Bretons,

les Scandinaves contrôlent même une bonne partie du territoire breton,

avant que le roi Alain le Grand les chasse.

Départ des élites

En 913, la mort de Gourmaëlon, successeur d’Alain, laisse la Bretagne

sans souverain légitime. Elle devient une proie de choix pour les

pillards scandinaves, territoire naturel d’expansion, quand tout le

reste de l’Europe du Nord-Ouest est déjà soit sous le joug viking, soit

bien protégé par des princes puissants. En 911, avec le traité de

Saint-Clair-sur-Epte, le roi franc Charles III a ainsi concédé Rouen et

la basse vallée de la Seine, noyau de la future Normandie, au chef

scandinave Rollon.

De fait, en 913 les Vikings attaquent et pillent l’abbaye de

Landévennec, alors la plus importante fondation monastique de Bretagne

occidentale, ébranlant profondément le pouvoir spirituel breton. Les

raids dévastateurs se succèdent désormais, sans rencontrer la moindre

résistance. En 919, Rögnvaldr (Ragenold) porte le coup de grâce à

l’ancien royaume en lançant une attaque massive sur la péninsule et en

s’installant à Nantes, d’où il semble contrôler la Bretagne entière.

Depuis 913, ecclésiastiques et aristocrates avaient commencé à

quitter massivement la Bretagne pour se rendre en Francie ou en

Angleterre. L’invasion de Rögnvaldr renforce le mouvement, la majorité

des élites restantes quittant alors le pays en 919-920. Elles emportent

avec elles reliques et manuscrits, au point qu’il ne reste en Bretagne

aujourd’hui aucun des textes composés dans les actifs scriptoria monastiques bretons avant l’arrivée des Vikings. En certains endroits,

tout particulièrement dans le pays nantais, l’émigration semble même

massive. La Chronique de Nantes, rédigée au siècle suivant, souligne que

« seuls les pauvres bretons cultivant la terre restèrent sous la

domination des barbares, sans guide et sans soutien ». Le comte de

Rennes, Juhel Bérenger, se maintient néanmoins tout au long de la

période grâce à une habile politique de bascule entre les Francs et les

Normands.

Des principautés scandinaves en Bretagne

Vue aérienne du camp de Péran

Vue aérienne du camp de Péran - photographie Maurice Gautier/Philippe Guigon

Après avoir assiégé Nantes sans succès pendant cinq mois, Robert, le marquis de Neustrie,

qui allait devenir roi des Francs l’année suivante, concède à Rögnvaldr

« la Bretagne qu’ils avaient dévastée avec le pays de Nantes » selon le

chroniqueur Flodoard. Ainsi, à partir de 921 existe en Bretagne une

principauté scandinave reconnue par les Francs.

Outre Nantes, plusieurs autres petites principautés scandinaves sont

attestées en Bretagne, comme en Cornouaille, ou probables, comme dans le

Penthièvre. Jean-Christophe Cassard mentionne ainsi de nombreux camps

vikings probables sur la côte nord de la Bretagne : Saint-Malo où les

assises de la tour Solidor (Saint-Servan) révèlent leur présence,

Saint-Suliac, Trans (camp du Vieux M’na) et surtout le camp de Péran à

Plédran.

Les années 920 se caractérisent donc par un début de colonisation de

la péninsule. Toutefois, contrairement aux Vikings de la Seine, qui se

coulent dans le moule franc et se mettent à organiser administrativement

et économiquement leur territoire, ceux de la Loire s’en tiennent à une

présence essentiellement militaire. Ils utilisent le pays sans essayer

de l’organiser.

Loin de se contenter du traité de 921, Rögnvaldr continue ses

attaques contre ces mêmes Francs, Nantes lui servant de base arrière.

Attaquant l’Aquitaine et l’Auvergne en 923, il remonte la Loire en 924

pour piller la Bourgogne. Il s’attire un nouveau siège de Nantes en 927,

mais c’est un nouvel échec pour les Francs. La cession de Nantes aux

Vikings est confirmée – mais sans mention du reste de la Bretagne cette

fois – en échange de la fin de leurs raids. Ce qui n’empêche par les

Scandinaves de rompre à nouveau le traité et d’attaquer l’Aquitaine et

le Limousin en 930. Cette fois, cependant, ils se voient infliger une

sévère défaite sur la Dordogne par le roi franc Raoul.

En 931, une première rébellion bretonne, dirigée par le jeune Alain

Barbetorte et le comte de Rennes Bérenger, confirme que le vent commence

à tourner. En Cornouaille, les Bretons massacrent les occupants

scandinaves, à commencer par leur chef, le duc Félécan. L’effet de

surprise passé, les Vikings de Nantes, commandés par Incon, le

successeur de Rögnvaldr, lancent une grande opération de représailles

sur la Bretagne, avec l’aide du duc des Normands de la Seine Guillaume

Longue-Épée, contraignant Alain Barbetorte

à un nouvel exil. Il revient cependant en 936 pour reconquérir son

trône, face à des Vikings affaiblis par une succession de défaites sur

la Loire et abandonnés à leur sort par les autres Scandinaves. Les

derniers Vikings ne seront toutefois défaits qu’en 939.

Une coupure irrémédiable

Armes du Xe siècle trouvées dans le camp de Péran

Armes du Xe siècle trouvées dans le camp de Péran - Centre Archéologique de Péran

Quel bilan faire de ces plus de vingt ans de domination viking en

Bretagne ? Globalement, il n’y a rien dans l’organisation sociale et

économique de la Bretagne postérieure à 939 qui soit dû aux Vikings.

Cela ne veut nullement dire que les années 913-936 furent une parenthèse

sans conséquences. S’ils n’organisèrent pas politiquement la Bretagne,

les Vikings eurent le temps de s’installer. Plusieurs noms de lieux

d’origine scandinave perdurent en Bretagne, tout particulièrement sur le

littoral. La découverte d’une tombe-barque viking à Groix en 1906

révèle les velléités d’affirmation territoriale de Scandinaves bien

installés et se considérant chez eux en Bretagne. Les rares éléments

génétiques dont nous disposons permettent même à Jean-Christophe Cassard

de suggérer que l’implantation normande a probablement été plus

importante en Bretagne qu’en Normandie.

À tous points de vue, l’intermède viking fut une coupure irrémédiable

dans l’histoire de la Bretagne. Si les principales communautés

ecclésiastiques reprennent aussi vite qu’elles le peuvent le chemin de

la péninsule, elles reviennent les mains vides. La mémoire de la

Bretagne est anéantie. Globalement, l’histoire de ses premiers siècles

d’existence ne peut plus s’écrire, pour ainsi dire, qu’à partir des

écrits des chroniqueurs gallo-romains et francs – c’est-à-dire des

adversaires des Bretons –, de Grégoire de Tours à Ermold le Noir.

Ruinée, dépourvue de ses richesses culturelles et de son patrimoine

spirituel, la Bretagne libérée a perdu le dynamisme qui caractérisait le

royaume de Nominoë et de ses successeurs.

 

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Localisation :


  • Pays de Saint-Brieuc
  • Plédran

Tudi Kernaleguen
01/04/2016