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Hiver 1906-1907 : grande grève dans l’industrie de la chaussure à Fougères

Jaurès
Jaurès - Archives municipales de Fougères.

 

Pendant l’hiver 1906-1907, à Fougères, qui est une des principales places de fabrication de chaussures en France, une grève longue et massive va marquer durablement le mouvement ouvrier français.

 

 

Du chausson à la chaussure

La fabrication de la chaussure à Fougères est, à l’origine, un moyen de reconversion et de diversification de l’activité textile qui périclite dans les années 1830. On fabrique d’abord des chaussons de tresse de laine, tissés sur une forme par des femmes. Puis on adopte le feutre, cousu à la main d’abord puis à la machine. Enfin, la chaussure en cuir se développe, en utilisant d’abord les ressources procurées par les tanneries locales, et Fougères se spécialise dans la chaussure féminine . On passe de 9 fabriques en 1861, occupant 1 666 ouvriers, à 35 ou 37 en 1899 employant 11 000 personnes. Ces usines sont de tailles variables, allant de la petite entreprise familiale à la manufacture mécanisée .
Fougères attire la population des campagnes environnantes et connaît une croissance rapide, passant de 11 201 habitants en 1872 à 23 537 en 1906.
En souvenir de cette histoire particulière, les ouvriers de la chaussure ont toujours conservé le nom de « chaussonniers », une dénomination que l’on ne retrouve pas dans les autres centres de production.

Réception des chaussures

Chaussures de femmes, spécialité de Fougères - Archives municipales de Fougères

Un syndicalisme dynamique

Dès 1887, deux syndicats se mettent en place : celui des coupeurs et celui des ouvriers chaussonniers. En 1900, les organisations fougeraises obtiennent de la municipalité la création d’une Bourse du travail, qui développe un service de placement gratuit. Mais en 1908, les syndicats décident de prendre leur indépendance en construisant une Maison du Peuple .
Pour répondre aux pressions exercées par les syndicats ouvriers, la chambre syndicale des fabricants de chaussures de Fougères est créée en février 1900. Elle contribue à alimenter la tension qui règne dans les usines.

Le conflit

À l’automne 1906, le patronat entame des négociations usine par usine afin de revoir les tarifs auxquels les ouvriers sont rémunérés. Mais ces négociations échouent et une grève partielle est organisée par les ouvriers. La réponse patronale se traduit par un lock-out, c’est-à-dire la fermeture des 22 entreprises syndiquées, pour obliger les ouvriers à accepter leurs conditions. Le 13 novembre 1906, la grève générale est votée.
Un long bras de fer s’ensuit. Le syndicat « rouge » de la Bourse du travail, qui compte environ 1 200 membres, coordonne le mouvement. Mais le syndicat patronal ne veut pas reconnaître ce syndicat, préférant traiter avec le syndicat des « jaunes » de la bourse indépendante, qui compte environ 200 membres. Avec la participation de ce syndicat, les patrons tentent par tous les moyens de casser la grève.
La France entière découvre la misère des ouvriers et des ouvrières fougerais. La solidarité s’organise. Des soupes communistes  permettent de distribuer des repas aux ouvriers grévistes sans revenus et à leurs familles. Le 9 décembre, une centaine d’enfants d’ouvriers que leur famille ne peut plus nourrir correctement sont envoyés dans des familles d’accueil à Rennes, Saint-Nazaire, Laval, Morlaix, Flers et Paris. Jean Guéhenno racontera ses souvenirs de la grève dans son ouvrage Changer la vie, Mon enfance et ma jeunesse, paru en 1961.

La victoire ouvrière

Une commission parlementaire arrive à Fougères au mois de janvier 1907 pour débloquer la situation. Les négociations reprennent entre le syndicat patronal et les délégués du syndicat rouge enfin reconnus. Mais à la veille de la reprise du travail, le 10 février, un gréviste « rouge », Alexis Morice, est assassiné par un « jaune », ce qui est interprété comme une provocation patronale destinée à pousser les ouvriers à commettre des actes de violences. De 2 à 6 000 personnes, selon les sources, assistent à ses funérailles.
Le travail reprend le 11 février après 103 jours de conflit et de longues négociations usine par usine.
Cette grève n’apporte qu’une infime augmentation de salaire mais c’est une vraie victoire des ouvriers, qui permet la reconnaissance de leur syndicat.

Jaurès à Fougères

Grâce à l’ampleur de la solidarité qui s’est manifestée, la victoire ouvrière a pu être acquise. D’ailleurs, le 17 février 1907, Jean Jaurès  vient rendre un vibrant hommage au courage des Fougerais. Le conflit des chaussonniers de Fougères est exemplaire à ses yeux, car ils ont montré leur détermination et, tout en restant dans le cadre de la légalité, ils ont réussi à faire plier les patrons.

Fougères « la rouge »

En 1932, une autre grève générale a lieu, qui durera plus de sept mois. Ces conflits, pourtant exceptionnels, vont donner à Fougères une image « rouge », que l’on retrouve dans d’autres villes industrielles et qui sera, vue de l’extérieur, très durablement accolée à l’image de la ville.

Archives municipales de Fougères

 

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  • Fougères

Jérôme Cucarull